• La rue Nationale

A. RICHEBÉ le 19 mars 1897.

De toutes les difficultés d'exécution que présentait, en 1858, le projet d'agrandissement, celle de l’établissement d’un plan d'alignement et de raccordement pour les voies, à créer on déjà existantes, était la re a résoudre. A la nécessité d'une exécution rapide se joignait celle d'une étude approfondie.

Lors des déplacements successifs de l'enceinte, on s'était borné à raccorder, tant bien que mal, l'ancienne agglomération intérieure avec les faubourgs englobés. C'est ce qui explique l'absence de toute idée d'ensemble dans le réseau des voles publiques de l'ancienne ville, à l'exception de la partie incorporée en 1669, qui ne touchait en aucun point aux communes annexées. A Wazemmes, aux Moulins, à Esquermes, la situation n'était pas meilleure. Des constructions s'étaient élevées successivement le long des anciennes routes et des chemins qui y aboutissaient, et les avaient transformés en rues en leur laissant leur tracé sinueux et leur largeur variable. Plus tard, des propriétaires avaient ouvert des rues nombreuses sur leurs terrains, mais, uniquement guidés par le désir de mettre leurs propriétés en valeur, ils ne s'étaient pas autrement préoccupés de les faire concorder avec l’ensemble des autres voies publiques.
Il s'agissait de coordonner entre eux ces éléments si divers, au moyen d'un plan d'ensemble, qui formerait le plan alignement de la ville nouvelle. La commission, nommée dans ce but, le 5 juillet 1858, se composait de MM. le colonel de Montfort, directeur des fortifications, du lieutenant-colonel chef du génie, de l'ingénieur en chef des ponts et chaussées, de l'ingénieur ordinaire de l'arrondissement de Lille, de MM. Kuhlmann, Théry, Verley, de Melun et Eeckman.
La tâche qui incombait à cette commission était assez complexe, car elle touchait aux intérêts publics et particuliers les plus divers.

Les intérêts industriels et commerciaux réclamaient une distribution des îlots à bâtir de nature à permettre d'y installer convenablement de grands établissements qui ne trouvaient plus de place dans la ville ancienne, l'amélioration des voies navigables, et l'extension des quais, déjà insuffisants pour la batellerie. Il fallait approprier la voirie aux besoins de toutes les classes de la population, créer des promenades, assainir les quartiers anciens, se mettre en mesure de pourvoir aux besoins de la population qui viendrait s'agglomérer sur des points inhabités, au moment de la création de la nouvelle enceinte, par des constructions d'écoles, d'asiles, d'églises, de marchés, etc. Enfin, il importait avant tout d'établir, entre l'ancienne ville et les localités annexées et entre ces localités elles-mêmes, une viabilité commode et directe. Chacun de ces points de vue fit l'objet d'études approfondies de la part de l’administration, activement secondée par la commission, dont la composition présentait toutes les garanties de compétence et d'honorabilité désirables. Elles furent dirigées par l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, M. Kolb, qui, avec un complet désintéressement, y consacra deux années d'un travail incessant. On peut, à juste titre, considérer le plan d’alignement de la ville agrandie comme en grande partie son oeuvre personnelle. Il fut, en effet, approuvé le 24 avril 1860, et ce ne fut qu'à la date du 1er  mai suivant que fut créé le poste de directeur des travaux municipaux, dont un autre ingénieur en chef, M. Gosselin, fut le premier titulaire. Ce plan donnait aux questions si nombreuses et si complexes que soulevait le projet de percement de la ville agrandie des solutions satisfaisantes et pratiques, toujours inspirées par l'intérêt général, ce qui n'était pas sans quelque mérite, au milieu de la fièvre de spéculation qui se manifesta dès le début de l'agrandissement.


La rectification du canal de la Deûle, aux abords de la citadelle, et l'abandon du passage par le bassin Saint-Martin, qui en fut la conséquence, en facilitant la navigation de transit, procurèrent un plus grand développement de quais. La création des bassins de l'îlot Vauban rendit possible l'établissement des docks, reliés à la fois à la navigation et au chemin de fer par la ligne de ceinture. L’ouverture de larges voies de communication, destinées à relier les trois communes annexées, ou à former le prolongement de leurs principales rues, vint rendre aussi directes que possible les communications de ces communes entre elles, et leurs relations avec le centre de l'ancienne ville.

Parmi ces dernières, figurait la rue Nationale, que ces détails rétrospectifs nous ont quelque peu fait perdre de vue. Prévue sous le numéro 2, immédiatement après le boulevard, au plan général homologué après  le 24 avril 1860, elle fut déclarée d’utilité publique le 28 août 1861, et ouverte le 7 juin 1862, sous le nom de rue impériale, remplacé, en février 1873, par sa dénomination actuelle. Elle fait, depuis 1877, partie de la route Nationale No 41, de St Paul à Tournai.
Nous avons entendu, parfois, exprimer le regret qu'au lieu d'aboutir à l'angle de la rue Esquermoise, son point de jonction n'ait pas été reporté au centre de la Place, de façon à faire coïncider son axe avec la colonne.
La disposition adoptée était imposée par la topographie ancienne du quartier, peu connue de la génération actuelle et qu'il est utile de rappeler. Il existait alors, attenant à l'estaminet de l’Ange, et sur l'emplacement du café des Mille Colonnes, une immonde ruelle, débouchant sur la Place par une arcade étroite ; elle empruntait son nom de rue de la Nef à l'enseigne d'un cabaret voisin actuellement encastré dans la façade du n° 3 de la rue Nationale.

Plus loin, à l'angle de la rue Esquermoise, s'ouvrait la rue de Tenremonde, ainsi nommée à cause d'un hôtel occupé autrefois par l'ancienne famille de ce nom. Il s'y trouvait deux ruelles dites du Rouge-Lion et du Papegai. Le nom de cette dernière, qui signifiait en vieux français perroquet, et,  par extension, l'oiseau de bois servant de but pour le tir à la perche, fut, en 1793, l'occasion d'une plaisante méprise. Le conseil de la commune crut y voir une allusion religieuse, comme il avait vu, dans la dénomination de la rue du Pont-Raines, une réminiscence monarchique, et la cour du Papegai devint la rue de la Loi, comme le Pont-à-Raines était devenu Pont de la Nation. Les deux rues de la Nef et de Tenremonde étaient séparées par un îlot étroit de constructions que coupait le canal, alors découvert, des Poissonceaux.

A la hauteur de la rue des Deux-Epées, seul vestige de l'ancien état des lieux, elles aboutissaient à une place qui se prolongeait. jusqu'à la rue de l'Hôpital-Militaire. C'était autrefois le Marché-au-Verjus. dont un pressoir, destiné à exprimer le jus du raisin vert, sculpté sur la façade d'une maison formant l'angle des deux rues, rappelait la destination primitive.
Les maisons portant les numéros 55 à 61 de la rue de I'Hôpital-Militaire, actuellement disparues, étaient adossées au jardin de l'hôpital, circonscrit par l'église Saint-Étienne, la rue du Vert-Bois et le rempart, qui occupait la rue actuelle, à quelques mètres derrière le clocher. On fit disparaître les constructions situées entre deux rues de la Nef et de Tenremonde et on amena à 23 mètres la largeur de la voie nouvelle, en prenant comme base le côté droit de la rue de Tenremonde jusqu'à la rue des Deux Epées. Cet alignement, prolongé en ligne droite jusqu'à la rue de l'Hôpital-Militaire, donna au Marché-au-Verjus la même largeur, en retranchant une partie des immeubles du  côté droit. Les maisons du coté gauche, dont un certain nombre, celle qu’occupe le Progrès notamment, subsistent encore, n'eurent qu'à avancer un peu pour se trouver à l’alignement voulu.
Cette combinaison, comme il est facile de le comprendre, réduisit notablement le montant des expropriations.
L’Etat échangea le jardin de l'hôpital contre un terrain de même contenance, pris sur la partie des anciennes fortifications située derrière cet établissement, et que la ville lui rétrocéda. Au moyen de l’acquisition des quatre, maisons comprises le tracé, on put, dès lors, prolonger la voie nouvelle sur les terrains appartenant à la ville, qui naturellement, tira un prix élevé des parties qui la bordaient. Elle traversait ensuite des terrains particuliers attenant aux glacis, et coupait l'ancien chemin de la digue, dont la partie comprise entre 1a rue de Puebla et le futur square Rameau emprunta à l'enseigne d'un cabaret voisin de la Digue le nom la rue du Blanc-Ballot, remplacé plus tard par celui du savant archéologue abbevillois, Boucher de Perthes.
On retrouve encore, derrière l'église du Sacré-Coeur, dans leur état primitif, quelques vestiges de cet ancien quartier, ensemble incohérent le maisons basses, presque. toutes en planches. C'était alors le quartier général des blanchisseurs, à qui les nombreux fossés qui le sillonnaient fournissaient en abondance l'eau nécessaire à leur industrie.
On se figure aisément la plus-value respectable que réalisèrent les heureux propriétaires des terrains longeant les nouvelles voies publiques. La rue Nationale coupait la digue d’inondation à son point d’intersection avec la rue Solférino  ouverte de 1863 à 1867 sur une partie de l’emplacement de cet ancien ouvrage. Bordé d'arbres magnifiques, trembles et peupliers, qui couvraient ses talus de leur ombre, il constituait, faute de mieux, il y a quarante ans, une des promenades favorites des Lillois de l'époque.

Les changements survenus dans cette partie de l'ancien territoire suburbain leur permettraient difficilement d'en reconstituer le tracé. Pour accomplir, en imagination, leur promenade d'autrefois, il leur suffit de prendre la rue Jacquemars-Giélée, à sa jonction avec la place de la République, et de tourner par la rue de Puébla. Après avoir évoqué, à l'angle de la rue Boucher-de-Perthes, le souvenir de l'ancien estaminet du Blanc-Ballot, et, un peu plus loin, celui du cabaret de Saint-Augustin, ils longeront les halles jusqu’à l'origine de la rue des Stations, ils suivront à droite la rue Solférino, traverseront la rue Nationale et le boulevard Vauban, et retrouveront, dans la rue de la digue que longeait jadis la canal de décharge, du Moulin de la Barre, le jardin du Prévôt etplus loin l'Ecole de natation.
La rue Colson, de création récente, ne rappelle d'autre souvenir que celui du sympathique général de ce nom, allié à une famille lilloise ; au moment de la guerre il commandait le département du Nord depuis un an à peine, et fut tué à Froeschwiller, le 6 août 1870. La rue Mercier est l’ancienne Allée du Pont-Rouge, transformée et élargie. La Grande Allée et la Petite Allée, sa voisine, sont également d'anciennes ruelles du vieux Wazemmes, auxquelles on ne peut que souhaiter à bref délai la même transformation.

La place Philippe-de-Girard, ouverte en 1862, a succédé à l'ancienne Place de la Mairie de Wazemmes, établie elle-même sur le terrain qu'occupaient primitivement l'église et le cimetière.l’une fut transférée rue du Marché en 1829, l'autre, en 1821, à l'endroit où fut créé, par suite de sa suppression en 1860, le square d'Iéna.
La mairie se trouvait sur l'emplacement du gymnase actuel, et l'impasse qui y aboutissait est devenue la rue Lavoisier. Ces divers terrains, à une date plus ancienne, faisaient partie du domaine de l'évêque de Tournai, devenu au XIV° siècle seigneur de Wazemmes. Il s'y rendait par le vieux chemin dit de 1’Evêque, dont la direction correspondait aux rues Charles-Quint, du Marché et de la Justice, et qui venait se raccorder à Ronchin  avec une ancienne voie romaine.
Les fouilles faites lors de l'ouverture de la rue ont d'ailleurs amené diverses trouvailles qui assigneraient à cette partie de Wazemmes, riveraine du lit primitif de la Deûle, une antiquité respectable.

La partie de la rue Colbert actuelle, que coupe la rue Nationale, avait été ouverte, en 1855, sous le nom de rue de Jonction puis de rue Notre-Dame, entre la rue des Stations et la route de Dunkerque. Elle formait alors le prolongement de la primitive rue Colbert, à laquelle elle fut réunie, le 12 février 1863, sous la même dénomination.

Au point de jonction de la rue Nationale avec la place de Tourcoing se trouvait l'ancienne rue de Canteleu, qui s'étendait de la rue des Stations au chemin du Sabot. Son nom a été attribué à une autre rue allant de la rue d'Esquermes au boulevard de la Moselle, et ses deux parties extrêmes ont pris les noms de rues Auber et des Frères-Vaillant.
Rappelons, en terminait, que c'est à partir de cet endroit, alors appelé la porte-Rouge etoù se trouvaient les moulins de Wazernmes, que Vauban détourna les eaux du Fourchon pour les ramener en Haute-Deûle, au moyen du canal qui porte son nom.

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