• La Nouvelle et la Vieille Aventure

La magnifique guinguette dite de la Nouvelle-Aventure, dont la démolition a causé tant de regrets aux  vieux Lillois, a été souvent mentionnée dans nos journaux; elle  a aussi été célébrée en vers,  en chansons, mais on chercherait vainement dans les guides et autres livres tant de l'histoire de Lille, un article de quelque importance à son sujet. Seul, à notre connaissance, un écrivain lillois, M. Horemans, s'est occupé de l'origine de ce bel, établissement. Voici ce qu'il en dit, dans un volume intitulé : Études, de moeurs lilloises , publié en 1887: Veut-on connaître la première destination de notre guinguette ?

Plusieurs grands seigneurs de Lille eurent la fantaisie d'avoir leur Parc-aux-Cerfs... Ils firent bâtir la Nouvelle-Aventure. Mais ce lieu de délices et de débauches perdit bientôt de sa vogue et ses commensaux finirent par l'abandonner. » - Puis l'autour ajoute que le domestique d'un de ces grands seigneurs s'étant établi à la Nouvelle-Aventure, y fit fort bien ses affaires.
On s'explique difficilement un parc-aux-cerfs bâti par de grands seigneurs et perdant de sa vogue. D'ailleurs, les faits que nous allons exposer d'après des renseignements puisés aux archives de l'Administration des hospices civils de Lille, propriétaires du terrain de l'immeuble dont il s'agit, et que nous devons à l'obligeance de M. Breunin , secrétaire, nous paraissent établir que M. Horemans a été induit en erreur.

Tout d'abord ce titre de Nouvelle-Aventure fait supposer avec raison que lorsqu'on l'adopta il existait déjà un établissement de même nature et portant une désignation analogue.
En effet, par acte notarié du 8 avril 1707, un sieur Antoine Cordonnier prit en arrentement un terrain sis à Wazemmes (actuellement rue Gambetta, 163) et mesurant 1424 verges (12,626 m2). En 1710, le sieur Cordonnier, sur une portion dudit terrain, fit bâtir une guinguette qui eut pour enseigne : A l'Aventure.
Cet établissement, dont le terrain fut arrenté de nouveau en 1823 et qui, depuis longtemps, par suite, évidemment, de la création de la Nouvelle-Aventure, s'appelait : La Vieille-Aventure, a été supprimé, comme guinguette, en l834 ou l835. A cette époque ses bâtiments et jardins furent convertis, d'une part, en bâtiments de ferme et d'habitation, et, d'autre part, en locaux également connus sous le nom de Vieille-Aventure et affectés à une société particulière où l'on donnait des concerts et des bals. Ce dernier établissement est devenu simple habitation en 1857 ou 1858.
 La Vieille-Aventure, qui a laissé d'agréables souvenirs, nous a fait dire ce qui suit, par la bouche de  la vieille Jeannette, dans notre chanson des Amours de Jeannette et de Girotte :
« Quand j' vos l' bal de l' Vieille- Aventure,»  
« Min coeur palpite, j' vous l' l'assure ; » 
« Ch'est là qu' par un biau p'tit soupir, »
« L'amour, un jour, s'a fait sintir ..... .»
Par acte du 3 mai 1758, ledit Antoine Cordonnier s'est rendu arrentataire de l538 verges de terrain (environ 13,636 m2) sur lesquels il fit établir une nouvelle guinguette quelques années plus tard. On ne connaît pas exactement la date de cette construction, mais on trouve la mention suivante au sommier des propriétés des hospices en 1773 - « M. Bégain, gendre de Antoine Cordonnier, arrentataire de l538 verges de terre à Wazemmes, où ledit Cordonnier a fait bâtir une grande maison qu'on nomme la Nouvelle-Aventure. »
Ces deux propriétés foncières faisaient partie de la dotation de l'hôpital Saint-Jean-Baptiste, dit Ganthois, fondé par Jean de la Cambe, le 22 novembre 1466.

La Nouvelle-Aventure avait son entrée rue Notre-Dame (actuellement rue Gambetta), au milieu d'une fort belle grille; puis, une avant-cour avec remises, écuries et magasins ; un vaste bâtiment comprenant un rez-de-chaussée, un étage et des mansardes ; sur le toit, dans un petit campanile, il y avait une horloge surmontée de personnages de la Comédie italienne : Arlequin, Colombine et Pierrot, lesquels, chaque fois que sonnait l'heure, jouaient une petite scène au son d'un carillon ; dans l'avant-cour, à droite et à gauche, deux rampes conduisaient à des pavillons et à un grand salon où, tour à tour on dansait, on donnait des concerts, on jouait la comédie. Au rez-de-chaussée se trouvaient des salles d'estaminet avec billards et autres jeux. En descendant lesdites rampes, on arrivait sur une vaste terrasse où se donnaient les bals et les concerts d'été ; trois allées de verdure avec d'admirables charmilles, donnaient accès à un second terrain où il y avait des chevaux de bois pour courir la bague, un tir à l'arc au berceau, un jeu de boule, etc., etc.

Pendant un siècle la Nouvelle-Aventure a été fréquentée par la jeunesse de Lille et des environs. Tous les dimanches et les lundis, moyennant un prix d'entrée qui, aujourd'hui, paraîtrait ridicule de bon marché (40 centimes donnant droit à un petit pain fourré ou à une bouteille de bière), on pouvait s'y livrer à la danse, assister parfois à un concert ou au départ d'un ballon et prendre part aux jeux que nous venons de mentionner.
Dans l'hiver on y jouait, non seulement des drames, des comédies et des vaudevilles, mais aussi des opéras - comiques. Un programme de 1821 nous apprend en effet qu'on y représentait à cette époque : Ma Tante Aurore, Adolphe et Clara et le Barbier de Séville, déja y a donné des représentations et joué les Premières Armes de Richelieu.
C'était là qu'avaient lieu les fêtes patronales des boulangers, des cabaretiers, etc., etc. celle du Broquelet attirait toute la population. C'est par centaines que l'on comptait ce jour-là les équipages des personnes qui voulaient voir l'attrayant spectacle que présentait cette fête populaire, et le nombre des carrosses, des fiacres et des vinaigrettes de louage ne pouvaient suffire àtransporter les héros du jour, c'est-à-dire, les filtiers et les dentellières.
Mentionnons ici un fait qui nous a été maintes fois raconté.
Charles Roussel dit Chacharles (Charles Roussel, né à Lille, le 23 février 1781 est décédé le 27 juillet 1826), le célèbre Hercule du Nord, se trouvait un jour de fête à la nouvelle- Aventure avec des membres de sa famille qui, tous, étaient comme lui d'une force prodigieuse.
Tout-à-coup un individu lui crie « Chacharles! vite, vite, accours ! ta soeur vient d'être insultée par des cuirassiers!
Combien sont-ils, dit Chacharles? Deux!                     
Deux?.... je n'ai pas besoin de me déranger! » et l'hercule se fait admirer en exécutant un superbe cavalier seul.
En effet, presque immédiatement, on apprend que la jeune personne avait donné une tripotée aux deux cuirassiers.... des colosses!

La Nouvelle-Aventure a été démolie en 1861; on y a dansé pour la dernière fois le 13 mai de la même année, à l'occasion de la fête du Broquelet. Cette guinguette ne pouvait pas avoir une plus belle fin.
Le peintre François Watteau, de Valenciennes, qui a été professeur à l'Académie de Lille, à partir de 1786, et qui est mort en cette, ville le 1er décembre 1823, a laissé une très curieuse toile représentant la Nouvelle-Aventure un jour du Broquelet, à l'époque du Directoire. On peut la voir à Lille, au musée Leleux.
Une lithographie publiée en 1862 par M. Horemans, montre très exactement la partie extérieure de ce célèbre établissement, dont le terrain, vendu à la ville, le 12 avril 1862, est depuis lors affecté à la place dite de la Nouvelle-Aventure.

Le Club des Ambassadeurs de Wazemmes - 26 rue Jules Guesde 59000 Lille - SIRET : 440 423 168 000 10 - APE : 913 E